L'histoire commence, inquiétante, dans les cendres d'une pinède violée par les flammes. La forêt, vous l'avez vue qui s'embrasait. Ce ne sont plus désormais que terres calcinées. Un couple de cafards se meut dans le silence. Le grand pin où vous aviez gravé vos amours, noir et décharné, dans un bruit de feuille déchirée s'est abattu sur le sol. Vous passez une main sur votre visage. Vous rentrez dans votre maison, à la lisière de la forêt détruite. Sous vos pieds crissent des brandons qui se consument.

Votre mémoire s'efforce d'effacer, du moins pour un temps, un traumatisme trop oppressant. Vous oubliez ce qui vous fait peur, vous fait mal, avant d'y revenir, l'esprit presque serein, pour vous remémorer l'aspect des arbres avant le cataclysme. Le grand pin. La lame d'un opinel dans son écorce. Vous excluez les autres préoccupations ; votre tête est mangée par le souvenir des choses qui ne sont plus. Les rôles que vous teniez avant le désastre sont mis entre parenthèses pour permettre votre reconstruction intime.

Enfermé dans votre chambre, vous attendez que passent les effets du cataclysme. Longues heures de claustration, d'étouffement; le monde, vous ne l'apercevez qu'à travers les persiennes de votre maison. Vous suppléez, par l'imagination, à la partie du monde qui vous est cachée. Dans une agitation permanente, homme éprouvé, vous n'aspirez bientôt plus qu'à la sérénité.

Le vent a emporté une partie des cendres. Derrière votre fenêtre à jalousie, le soleil éclaire les souches, une pousse perce le tapis de bois mort. Vous vous tournez sur votre chaise : quelqu'un vit dans votre maison. Vous vous levez de votre chaise. Vous vous asseyez à la table de la salle à manger. Du vin rouge tombe dans votre verre. Vous découvrez le goût des aliments. Sel, poivre, sucre : votre corps apprécie. Vous exercez vos muscles du visage, déshabitués à sourire. Cela vous fait d'abord mal, puis cela vous fait du bien.

Un jour, vous sortez de votre maison, à la lisière de la forêt renaissante. Vous fumez une cigarette, si vous êtes fumeur, ou vous aspirez l'air à pleins poumons. Vous vous tenez debout, vous regardez les pousses arrosées par les méandres d'un ruisseau qui n'a jamais cessé de couler.

Bastien Fournier
Ecrivain