LE VISAGE DE SA PEINTURE

Peindre, c'est donner à l'art sa définition de la peinture. Croire qu'elle est la seule voie possible, pour la volonté d'agir. Et malgré qu'on découvre plus qu'on ne créée, lui rester fidèle. Et humble face à l'ampleur du sujet et généreux afin de la continuer. On ne peut pas dire que Pierre Zufferey ne s'y essaie pas.

L'art, ne faisant pas exception, il s'agit de ne pas commencer par l'essentiel. A commencer sa carrière par la fin, hormis quelques fulgurants personnages, vous encourez le risque d'une grande désoccupation. Rien ne sert non plus de crier sa sincérité, de citer pensées et aphorismes ou de montrer que vous avez la chose en mains. Les attitudes et les mots à ce sujet ne servent pas à grand-chose : toutes les époques, surtout la dernière, nous ont confirmé le contraire.

A quoi bon en parler? Pour me rappeler en écrivant ce que je ne sais pas. Heureusement inaccessible. Imaginez une œuvre parfaitement intelligible, à quoi servirait-elle? Bref, le sens n'est pas une propriété intellectuelle ou affective. Si Pierre Zufferey peint, c'est par mystère. Et il en va d'une grande beauté. Ainsi, en Art soit-il!

Comme une infinie somme de conjonctures très favorables est nécessaire à la réalisation de la moindre des choses, l'acte de peindre c'est se relier. Avec cette partie en nous qui n'est pas à nous. Avec le non-peintre qui accède en lui-même par procuration. Et sans le non-peintre, Zufferey ne saurait pas vraiment qu'il est particulièrement sensible à la peinture. Que le non-peintre pourtant contient dans sa tête... Mais venons-en à Pierre.

Pierre Zufferey a le visage de sa peinture. Qui renvoie à la lune, au monocle, au candélabre. Les deux faces noctiluques. Parlant peu, le café qu'il boit semble proférer des augures à sa place, pour la beauté du signe. Sans présages. Une nuit j'ai vu sa tête rouler vers l'horizon et s'échouer calmement comme une galet sur la plage. Trop paresseuse pour se mouvoir d'elle-même, elle attendait la marée refluante pour tracer des signes sur le sable. Quel beau destin! Oh! combien nécessaire. Et reposant. Mais la plage c'est le fond marin, constituée de terres calcinées, de déserts rouillés, de frontières d'eau plate, d'absconses géométries, de sillons, fenêtres sans maison, persiennes sans fenêtres, etc. C'est pourtant dans ce contexte d'élan très immobile que, par contraste, le moindre jet de lumière éclate. Faisant vibrer le mur du salon qui les abrite.

La peur nous fait mettre des noms. Dans son face à face avec lui-même, Pierre Zufferey dénomine ce qu'il extrait pour se rassurer, précisément, de ces visions qui le constituent. C'est ça être un artiste à son insu. S'appâter au fond de soi-même au pinceau... Et vous remontent la barque, la plage, des boules géantes, des couples de boules, la vie, la mort. Pierre Zufferey s'apaise en les peignant puis se calme définitivement en nous les donnant en thèmes. Dont le centre est représenté par l'absence de l'être. Autant dire que sa présence est inexistante. Ou symbolique. La terre, l'eau, les écrans, les filtres, ce grain de sable - là, par exemple, au fond de la toile - c'est une histoire d'amour. Très compliquée.

Ses toiles sont des filets cabalistiques qui enregistrent le mouvement sismique des mains. Elles disent "le presque rien". Et cette peinture fondée sur les petits dénominateurs communs - parce qu'universellement communs - participent de l'essentiel. (Authentique serait plus juste. La vérité important peu, c'est le rapport qui nous lie à ce que l'on fait qui compte). Le visage de sa peinture. La peinture de son visage. Connexe. Voilà bien Zufferey: abstrait sans abstraction. Où, rien n'est moins abstrait que cette abstraction. Attardez-vous! Vous y verrez de la peinture sans sentiment, sans pensée préétablie, avec des espaces et des vides très chargés. Il faut de la générosité pour si peu donner et beaucoup de distance pour voir autant dehors.

Le sens s'épaissit de ses éclaircissements. Rapprochez-vous et interprétez.

Edouard Faro
Sculpteur